Inclusion & Diversité

Pourquoi l’écart salarial reste (in)visiblement béant

juin 4, 2025
par Heleen Driesen

L’écart salarial entre les hommes et les femmes en Belgique n’est plus qu’un mince fossé. C’est du moins ce que les statistiques officielles laissent croire. Ce sont précisément ces chiffres  » objectifs  » qui comportent un risque : celui de balayer d’un revers de la main une discrimination bien réelle. « D’une manière ou d’une autre, nous devons parvenir à briser les mécanismes invisibles et les stéréotypes de genre. »

Selon les chiffres d’Eurostat, la différence de salaire horaire entre les hommes et les femmes en Belgique n’est que de 0,7 %. Ce qui place notre pays parmi les meilleurs élèves d’Europe. Seul le Luxembourg, où une femme gagne plus qu’un homme, fait mieux. « Ce qui compte surtout, c’est ce qui se cache derrière cette statistique », affirme la professeure en comportement organisationnel Kim De Meulenaere (Université d’Anvers). 

Les chiffres donnent globalement une image encourageante, commence la professeure De Meulenaere sur une note positive. L’écart salarial diminue, et les employeurs font beaucoup d’efforts pour rémunérer équitablement un travail égal. « Mais les chiffres ne montrent pas l’ensemble du problème », explique la chercheuse. « Le calcul se base généralement sur le salaire horaire brut. Or, dans la réalité, les femmes travaillent beaucoup plus souvent à temps partiel que les hommes. Si l’on regarde la fiche de paie à la fin du mois, les femmes gagnent presque 5 % de moins. Dans le secteur privé, la différence peut même atteindre 20 %. Une femme doit donc en moyenne travailler 3 à 4 mois de plus pour gagner autant que son collègue masculin. » 

À travail égal, salaire égal 

Le travail à temps partiel est la principale explication de l’écart salarial, confirme Véronique De Baets, porte-parole de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. « Près de 4 femmes salariées sur 10 travaillent à temps partiel, contre 1 homme sur 10. Pour les femmes, l’équilibre entre vie familiale et professionnelle est la principale raison de ce choix. Les hommes, quant à eux, choisissent le temps partiel pour combiner leur emploi avec une autre activité ou une formation. Ils continuent donc à construire leur carrière et leur développement, alors que pour les femmes, un emploi à temps partiel représente surtout un recul professionnel. » 

Dès qu’il y a des enfants, ce sont les femmes qui endossent systématiquement le rôle de soignante dans une relation avec enfants. En moyenne, les femmes consacrent environ 1,5 heure de plus par jour aux tâches ménagères et aux soins des enfants. Les hommes, eux, travaillent 1,5 heure de plus (rémunérée). « Sans enfants, les femmes gagnent 7 % de plus que les hommes, ce qui s’explique par leur niveau de formation en moyenne plus élevé », précise Véronique De Baets. « Mais après la naissance d’un enfant, le taux d’emploi des femmes diminue. À partir de la tranche d’âge de 35 à 44 ans, le salaire des femmes tend à stagner, tandis que celui des hommes continue de progresser régulièrement. À l’âge de la retraite, l’impact de l’écart salarial est maximal. La pension des femmes est en moyenne inférieure de 23 % à celle des hommes. » 

Une femme doit en moyenne travailler 3 à 4 mois de plus pour gagner autant que son collègue masculin.

— Prof. Dr. Kim De Meulenaere. Université d’Anvers

Plafond et mur de verre 

On invoque souvent le libre choix des femmes dans le débat sur les salaires. Mais l’écart salarial reflète des inégalités profondément enracinées, qui sont largement le fruit de la socialisation et des stéréotypes de genre, affirme Véronique De Baets. « Le phénomène du mur de verre fait référence au fait que les femmes sont souvent surreprésentées dans les secteurs et les métiers moins bien rémunérés. Ce n’est pas un hasard : le ‘travail de femme’ est historiquement associé à des fonctions ‘douces’, économiquement moins importantes et donc moins rémunérées. » 

En outre, les femmes sont moins souvent prises en compte dans les décisions de promotion ou d’augmentation salariale. Cela vaut aussi pour les femmes travaillant à temps plein, souligne la professeure Kim De Meulenaere. « Des recherches montrent que les femmes sont évaluées sur leurs performances passées, tandis que les hommes le sont sur leur potentiel. » Ainsi, même si Frank a été plus souvent absent que Linda ou a fourni moins de travail l’année passée, cela ne jouera pas nécessairement contre lui pour une promotion. Une femme qui travaille à temps partiel ou qui prend un congé de maternité en subira, elle, indirectement les conséquences. « Tous ces facteurs ont un impact sur les conseils d’administration : les femmes y sont toujours fortement sous-représentées. Pour les membres de groupes minoritaires, comme les femmes racisées, le plafond de verre est encore plus difficile à briser. » 

Briser les mécanismes 

Malheureusement, les femmes ne sont pas toujours les premières à se soutenir entre elles, note la professeure De Meulenaere. « Les femmes occupant des fonctions élevées ne sont pas toujours enclines à aider leurs congénères en position inférieure. Elles se montrent parfois même plus sévères envers d’autres femmes. » Ce qu’on appelle l’effet Queen Bee n’est pas une preuve de comportement féminin ‘méchant’, mais une réaction sociale normale dans les groupes confrontés à des inégalités. Ce genre de processus passe souvent inaperçu, confirme la chercheuse. La solution à l’écart salarial réside donc en grande partie dans la prise de conscience. « D’une manière ou d’une autre, nous devons briser les mécanismes invisibles et les stéréotypes de genre. Une évaluation et un recrutement égalitaires sont un bon début, tout comme encourager les filles à suivre des filières STEM et offrir davantage de stages aux hommes dans les professions de soin. » 

Une plus grande égalité au travail commence à la maison, ajoute Véronique De Baets. « L’Institut plaide pour une politique encourageant les pères à prendre à la fois leur congé de naissance et leur congé parental. Une étude de l’ULB montre que les femmes dont le partenaire a pris un congé de naissance ont moins de risques de développer des problèmes de santé dans les années qui suivent. Nous demandons également un accès suffisant à des structures d’accueil de qualité pour les enfants. Enfin, l’adoption de la directive européenne sur la transparence des salaires est une étape importante pour lutter contre la discrimination salariale et promouvoir l’égalité sur le marché du travail. » 

Et un point crucial : fournir les bons chiffres, conclut Kim De Meulenaere. « Des chiffres biaisés maintiennent l’écart salarial hors des priorités politiques. Pourtant, les gains potentiels sont énormes : moins de pauvreté, un allègement de la charge sur l’État-providence, et une augmentation de 0,1 % du produit intérieur brut pour chaque réduction d’1 % de l’écart salarial. » ☉

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