Healthcare

la télémédecine à l’épreuve du terrain

juin 26, 2025
par Caroline Beauvois

Alors que la Belgique fait face à une pénurie chronique de médecins généralistes et à un vieillissement accéléré de sa population, la télémédecine est souvent évoquée comme une solution d’avenir en milieu rural. Mais ses limites apparaissent rapidement dans la pratique.

À Stoumont, en province de Liège, la pénurie de médecins n’est pas un simple constat, c’est un quotidien. La commune compte deux médecins pour environ 3 150 habitants, dont la doctoresse Camille Legrand. « C’est clair que ça nous fait de belles journées. Il faut combiner les consultations, les rendez-vous, les visites à domicile. En hiver, on tourne autour de 30 à 40 patients par jour, par médecin », détaille la généraliste. La continuité des soins repose sur des collaborations entre communes, même si la pression reste forte.

Soigner ici, pas ailleurs

Ce n’est en rien une exception. « En 2022, seulement 22 % des nouveaux médecins généralistes se sont installés dans les zones en pénurie reconnues par la Wallonie, constate le médecin Dominique Henrion, coordinateur de l’Observatoire universitaire en médecine rurale à l’UNamur. Et, depuis vingt ans, on diplôme proportionnellement beaucoup plus de spécialistes que de généralistes. » Le numerus clausus reste un frein, mais il ne suffit pas d’augmenter le nombre de diplômés, estime le médecin – « Une meilleure répartition géographique est essentielle. » 

Plutôt que des mesures coercitives comme en France, il plaide pour des incitants intelligents. Les primes à l’installation, comme le dispositif Impulseo, n’ont qu’un impact limité, observe-t-il. « Ce qui compte pour les jeunes, c’est l’équilibre vie pro-vie perso, la qualité de vie, et les structures collaboratives. » En 2022, Camille Legrand est ainsi revenue dans sa région natale après trois ans en maison médicale. Une décision de cœur autant que de mission, dit-elle.

« Il faut combiner les consultations, les rendez-vous, les visites à domicile. »

Camille Legrand. doctoresse

« Allô docteur ? »

La télémédecine — c’est-à-dire l’ensemble des pratiques médicales facilitées par les outils numériques — apparaît ainsi comme un levier potentiel pour améliorer l’accès aux soins en milieu rural. Téléconsultations, suivi à distance, dispositifs de télésurveillance à domicile… les usages sont multiples. « La visio, je ne l’utilise pas encore. On y viendra peut-être… Pour l’instant, je privilégie le contact direct et la consultation téléphonique », commente Camille Legrand.

Mais en Belgique, le cadre évolue. Depuis le 15 février 2025, les consultations téléphoniques ne sont plus remboursées par l’INAMI, officiellement pour des raisons budgétaires. Seules les téléconsultations vidéo le sont encore, sous certaines conditions. De quoi susciter bien des frustrations. « On appelle pour transmettre des résultats, faire un suivi. C’est un outil de continuité, mais il n’est plus reconnu. Donc, on le fait toujours mais de manière bénévole, regrette la généraliste. Alors qu’une consultation téléphonique coûte moins cher à l’État qu’une physique… » Pour Dominique Henrion : « Ces téléconsultations avaient du sens, si on avait su en éliminer les dérives. »

La télémédecine, oui… en appui

Pour qu’un acte soit tarifé, il faut désormais utiliser des plateformes agréées, avec visio obligatoire. « Mais tout le monde n’ose pas ou ne sait pas l’utiliser, surtout dans une population vieillissante. Ce n’est pas ma manière de pratiquer. Je crois qu’en médecine générale, il faut examiner les gens. Par ailleurs, un examen révèle souvent bien plus que ce pour quoi le patient est venu. » Et le médecin d’ajouter : « Il y a une dimension non verbale essentielle dans l’acte médical. La médecine générale repose sur le suivi dans le temps et la compréhension globale du patient. Cela ne se transmet pas via un écran. »

Pour autant, certaines applications ciblées peuvent être très pertinentes, en complément, note l’enseignant. « Le télémonitoring, par exemple, peut être très utile. Il permet de suivre à distance les constantes de patients sortis de l’hôpital : poids, température, électrocardiogramme. Cela peut renforcer la continuité des soins tout en évitant des déplacements inutiles. Mais imaginer qu’on puisse soigner la population depuis des call-centers, c’est une erreur. »

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