L’énergivore appelé IA
L’intelligence artificielle se développe à une vitesse fulgurante, mais l’entraînement des modèles d’IA et la gestion des systèmes d’IA consomment des quantités énormes d’énergie. Comment adopter cette révolution IA tout en réalisant des objectifs ambitieux de durabilité ?

Sabine Demey, Directrice du programme de recherche sur l’IA flamande, imec
La sensibilisation reste un grand défi dans ce qui est, selon certains, un « cauchemar éthique ». Quelles mesures concrètes doivent encore être prises ?
« Il est important de pouvoir mesurer l’empreinte écologique tant lors du développement que de l’utilisation des technologies IA, et ce, sur l’ensemble du cycle de vie de la production, de l’utilisation et du recyclage des infrastructures, y compris les centres de données. Pour permettre aux utilisateurs de choisir la solution de données et d’IA la plus économe en énergie, en eau, etc., il est essentiel que les mesures soient standardisées et que les fournisseurs de technologies soient transparents sur l’empreinte écologique. Il existe également des gains faciles : utiliser l’outil le plus simple, comme par exemple un moteur de recherche pour trouver des informations factuelles au lieu d’un système de dialogue plus complexe ou d’un chatbot avec une empreinte écologique plus importante. »
‘Investir dans la durabilité’ et ‘investir dans les technologies plus énergivores’ peuvent-ils coexister au sein d’une entreprise ?
« Certainement, bien que cela reste un défi important pour une entreprise et pour la société en général de trouver un équilibre entre tirer le meilleur parti des avantages d’une technologie et limiter son impact négatif. Une perspective importante ici est de savoir comment nous pouvons créer un avenir durable en fonction des trois piliers de la durabilité : économique, social et écologique. Aucune entreprise ne peut relever entièrement le défi seule. Cela nécessite un effort collectif de tout l’écosystème et une co-optimisation énergétique de toutes les technologies impliquées (systèmes IA, stockage de données, puces, etc.). Dans le cadre du programme de recherche sur l’IA en Flandre, la recherche sur les logiciels et matériels IA performants et écoénergétiques est un thème de recherche important. »
Le progrès technologique est-il une condition préalable pour les entreprises qui veulent atteindre des objectifs climatiques ambitieux ?
« Il y a différentes conditions pour atteindre des objectifs climatiques ambitieux, à la fois humaines/sociales et technologiques : sensibilisation, volonté, connaissances, technologies… Il est évident que l’IA apporte une contribution positive dans de nombreuses applications et que les objectifs climatiques sont si ambitieux qu’il sera difficile de les réaliser sans une utilisation systématique des données et des connaissances sectorielles. Les contributions positives de l’IA sont nombreuses, comme l’amélioration de la production d’énergie verte, la réduction de la consommation d’énergie dans les ménages et les entreprises, la fabrication de processus de production plus efficaces en termes d’énergie, la conception de produits plus légers consommant moins d’énergie, la production agricole plus durable, etc. »

Jeroen Baert, Comédien, conférencier, informaticien et vulgarisateur scientifique
La sensibilisation reste un grand défi dans ce qui est, selon certains, un « cauchemar éthique ». Quelles mesures concrètes doivent encore être prises ?
« Je pense effectivement qu’il y a une déconnexion entre la manière dont nous utilisons les applications IA et le coût énergétique qui en découle : ce n’est pas toujours évident pour un utilisateur final. Le mot-clé ici me semble être la transparence : en tant que fournisseur de services IA, il est essentiel de communiquer clairement sur les différents aspects de durabilité du modèle utilisé : sur quelles données (licenciées) il a été formé, quelle est la consommation d’énergie pendant l’entraînement et l’inférence, y a-t-il des garanties en matière d’énergie verte, etc. Peut-être est-il temps pour un label écologique ou un certificat pour les applications IA. »
‘Investir dans la durabilité’ et ‘investir dans les technologies plus énergivores’ peuvent-ils coexister au sein d’une entreprise ?
« Je pense qu’une entreprise peut démontrer comment elle a bien réfléchi à l’endroit où elle utilise des aspects génératifs de l’IA : ils ne sont pas la solution la plus adaptée, performante ou écoénergétique pour chaque problème. Trop souvent (et cela se produit avec des technologies très médiatisées), des modèles de langage de grande taille sont utilisés comme des oracles omniscients face à un problème, alors qu’une approche plus traditionnelle (et plus économe) suffirait. »
Le progrès technologique est-il une condition préalable pour les entreprises qui veulent atteindre des objectifs climatiques ambitieux ?
« Dans les années à venir, nous espérons réaliser des gains d’efficacité considérables grâce à un meilleur matériel (spécialisé), à de nouvelles perspectives et à l’optimisation. Cela ne signifie pas pour autant que la question de l’énergie liée à l’IA disparaîtra : ces techniques sont intrinsèquement énergivores (surtout si l’on va au-delà du texte pour les IA génératives ; pensez à l’audio, à la vidéo, aux applications en temps réel, etc.), et de plus en plus d’organisations et d’entreprises s’y engageront. Les géants du cloud (Google, Microsoft, etc.) signalent actuellement qu’il n’est pas facile de concilier leurs objectifs climatiques avec l’expansion continue de leur infrastructure d’IA générative : une approche informée et transparente reste et restera cruciale. »

Yarne De Munck, CO-founder en CEO, Polysense
La sensibilisation reste un grand défi dans ce qui est, selon certains, un « cauchemar éthique ». Quelles mesures concrètes doivent encore être prises
« Il y a actuellement une prise de conscience insuffisante chez les entreprises quant à l’ampleur de l’empreinte écologique de certaines avancées technologiques. Cela commence par le fait que cette empreinte dépasse souvent l’utilisation des seuls modèles d’IA. Il y a l’approvisionnement et la fabrication des puces IA/matériel, l’entraînement des modèles IA (dans des centres de données énergivores) et l’utilisation des modèles. Nous devons également nous demander ce qu’il advient des puces en termes de recyclage. Et que dire des temps d’entraînement prolongés dus à la nécessité croissante de modèles plus grands ? L’impact négatif est actuellement énorme. »
‘Investir dans la durabilité’ et ‘investir dans les technologies plus énergivores’ peuvent-ils coexister au sein d’une entreprise ?
« Cette question dépend fortement des activités de l’entreprise. En tant qu’entreprise, vous devez faire des choix et fixer des priorités en matière de durabilité. Dans les grandes entreprises de production, je pense par exemple qu’il est beaucoup plus sage de se concentrer d’abord sur la réduction des déchets, puis sur l’optimisation de la consommation d’énergie dans la technologie. Cependant, si les activités de l’entreprise sont orientées vers la technologie, il est intéressant d’investir dans des algorithmes plus économes en énergie. Par exemple, OpenAI tirerait un grand bénéfice de l’optimisation de ses modèles en termes de consommation d’énergie, ce qui réduirait leur impact sur le climat. »
Le progrès technologique est-il une condition préalable pour les entreprises qui veulent atteindre des objectifs climatiques ambitieux ?
« Je suis fermement convaincu que l’innovation technologique est essentielle pour atteindre les objectifs de durabilité. Grâce à cette innovation technologique, les entreprises peuvent utiliser l’IA et la technologie dans leurs activités, afin de travailler de manière plus efficace et plus durable. »