École Royale Militaire et biodiversité : une alliance durable en plein centre urbain.
À l’heure où les villes cherchent des solutions concrètes pour répondre aux défis de la transition écologique, certaines initiatives locales se distinguent par leur ambition et leur volonté de créer un impact réel et durable. C’est précisément le cas du projet de renaturation de l’École Royale Militaire (ERM) à Etterbeek, en région bruxelloise, piloté par la Direction Générale Environnement du SPF Santé publique Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement en partenariat avec la Défense belge.
Ce projet pionnier illustre comment des sites, même historiquement fermés et très minéralisés, peuvent devenir des laboratoires vivants de la transition écologique. Il s’inscrit dans une vision à long terme d’intégration de la biodiversité en milieu urbanisé, tout en valorisant des espaces institutionnels sur le plan écologique.
Un projet environnemental ambitieux au cœur d’un site militaire.
Longtemps perçus comme des zones grises de la ville, les sites militaires se révèlent aujourd’hui comme des opportunités insoupçonnées pour redonner une place à la nature. La vision du projet mené à l’ERM: réintroduire des éléments naturels là où le béton prédominait, renforcer la présence de la faune et de la flore locales, et offrir un cadre plus sain aux personnes qui y travaillent au quotidien.
Concrètement, cela signifie désimperméabiliser les sols, restaurer les zones végétalisées, créer des abris pour la faune et favoriser les continuités écologiques à l’échelle du site. Comme le souligne Aurélie Dussart, responsable du projet au SPF Santé publique: « Le but était aussi de venir renforcer ce qui existe. Quand on démarre un projet, on ne part jamais d’une page blanche. On vient d’abord voir ce qui est déjà mis en place afin de renforcer l’existant. »
Cette démarche s’inscrit dans une dynamique plus large et complémentaire déjà engagée par la Défense. Le lieutenant-général Frédéric Goetynck, vice-chef de la Défense et antérieurement en charge des infrastructures à la Défense, rappelle : « Depuis 1999, une collaboration entre la Défense belge et les régions vise à concilier activités militaires et préservation de la biodiversité. Focalisée à l’origine sur les terrains d’entraînement, cette coopération, principalement avec les régions, continue depuis 25 ans, intégrant initiatives environnementales, investissements partagés et réunions régulières pour protéger la nature sans nuire à l’entraînement. »

Une renaissance écologique déjà visible.
Bien que le projet soit encore en cours, les premiers résultats sont déjà perceptibles. Certaines espèces locales ont réapparu naturellement, témoignant du potentiel régénératif d’un site, même fortement anthropisé. Parmi ces retours notables, on peut citer la réapparition de l’orchidée sauvage, ainsi que la présence continue de chauves-souris, déjà repérées avant l’intervention, mais dont l’habitat a été renforcé.
Ce retour de la biodiversité a des effets bénéfiques multiples : amélioration de la qualité de l’air, régulation thermique locale, meilleure infiltration des eaux de pluie et stimulation des mécanismes de pollinisation. Le tout dans une logique de gestion différenciée des espaces verts, adaptée aux rythmes de la nature.
Un accompagnement à long terme pour ancrer la transition.
La phase la plus délicate de tout projet de renaturation intervient dans les deux à trois premières années : c’est le moment où les plantations doivent s’implanter durablement, sans quoi les efforts initiaux risquent d’être perdus. Cette période critique fait l’objet d’un suivi rigoureux, mené conjointement par l’équipe BiodiversiScape du SPF Santé publique, les gestionnaires du site et les entreprises de sous-traitance.
La transformation du site s’est accompagnée de la mise en place d’un plan de gestion écologique rigoureux, transmis aux sous-traitants en charge de l’entretien. Ce document fixe les modalités d’intervention dans une optique durable : fauche tardive, limitation des tailles, préservation des refuges pour la faune, etc. Ce suivi évite les erreurs classiques d’entretien et permet de corriger rapidement d’éventuels écarts.
Aurélie Dussart insiste sur cette phase essentielle : « Il faut être sûr dans les 2-3 ans de faire vraiment ce qu’il faut pour que la nature s’implante et pour ne pas avoir de pertes au niveau des plantations ». Ce travail minutieux est la clé de la réussite à long terme du projet.
Un modèle reproductible au service d’autres sites.
Si l’ERM fait aujourd’hui office de projet pilote, l’ambition est bien plus large. Le but est de généraliser cette approche à d’autres sites publics, en développant des contrats types, des fiches techniques et des directives d’entretien reproductibles. C’est l’un des objectifs du programme Biodiversiscape, porté par le SPF Santé publique en partenariat avec divers acteurs institutionnels.
Pour Goele Drijkoningen, gestionnaire du changement au sein du programme, l’important est de bâtir un cadre de référence clair et partageable : « L’idée est d’élaborer un cadre de référence partageable avec d’autres institutions publiques ou développeurs de projets, dans le but de favoriser la diffusion de bonnes pratiques ».
Cette logique de mutualisation permet de capitaliser les apprentissages issus de l’expérience bruxelloise, tout en ajustant progressivement les recommandations au fil des retours de terrain. Les données collectées (suivi des espèces, qualité du sol, effets sur le microclimat, etc.) alimentent une base de connaissances destinée à améliorer les futurs projets.
La Défense, nouvel acteur de la transition écologique.
La participation active de la Défense belge dans ce projet n’est pas anodine. Longtemps considérés comme des espaces fermés, à vocation strictement fonctionnelle, les sites militaires belges s’ouvrent désormais à une logique de durabilité.
Des projets similaires sont déjà en cours à l’École de Saffraanberg et à la base aérienne de Beauvechain. Frédéric Goetynck le confirme : « Toute l’expérience qui a été partagée ici va nous aider sur d’autres sites. En effet, le but n’est pas de s’arrêter à ces trois quartiers, mais de continuer à développer cette biodiversité dans tous nos autres quartiers militaires ». Cette approche s’inscrit dans une stratégie plus large visant à verdir l’ensemble du parc immobilier militaire et à en faire des lieux exemplaires en matière de durabilité.
Les équipes internes ont été et continuent à être sensibilisées et formées aux enjeux environnementaux. Cette appropriation progressive permet de garantir la continuité du projet au-delà de la phase pilote.
Une transformation visible, humaine et pédagogique.
Au-delà des aspects techniques, le projet a aussi un impact humain tangible. Sur le site de l’ERM, les changements commencent à être visibles : les oiseaux chantent à nouveau, les plantes s’enracinent, les espaces gagnent en fraîcheur et en esthétique.
Plusieurs membres du personnel, d’abord sceptiques, ont changé de regard. Des sessions de sensibilisation, visites de terrain et réunions d’information ont permis de construire une dynamique collective autour du projet. Les usagers du site ont été progressivement impliqués, ce qui contribue fortement à la pérennité de la démarche.
Pour Frédéric Goetynck, ce changement d’état d’esprit est essentiel : « L’implication progressive des usagers du site contribue à la pérennité de la démarche. La nature n’est pas un simple décor, mais un allié essentiel pour la résilience urbaine et l’épanouissement de l’être humain. Un tel projet ancré dans l’école de nos futurs cadres comprend également un volet pédagogique important ».
Réinventer les espaces de vie.
Le projet de renaturation de l’École Royale Militaire dépasse largement le cadre d’un simple verdissement de façade. Il traduit une transformation profonde de notre rapport à l’environnement, en posant la question de l’usage des espaces institutionnels dans un contexte de crise climatique.
Il prouve qu’il est possible de réconcilier usages fonctionnels et respect du vivant, même dans des lieux traditionnellement imperméables à la nature. Grâce à un accompagnement rigoureux, une volonté institutionnelle forte et une vision reproductible, ce projet ouvre la voie à une gestion plus harmonieuse des espaces publics.
Comme le résume Goele Drijkoningen : « L’intention est d’avoir des lignes directrices que nous rendrons ensuite accessibles au public. Et puis, toute personne intéressée pourra s’en inspirer ». Le projet de renaturation de l’École Royale Militaire illustre parfaitement ce que peut être une transition écologique réussie : ancrée dans le réel, collaborative, adaptée au contexte local et tournée vers l’avenir.