Inclusion & Diversité

À louer, mais pas pour tous

décembre 18, 2024
par Caroline Beauvois

A

lors que les loyers ne cessent d’augmenter, les préjugés et les injustices persistent, compliquant l’accès au logement. Bien que la discrimination soit interdite par la loi, elle continue de peser sur le marché locatif, et il est essentiel de la dénoncer. Des protocoles existent pour la prouver. 

« Désolé, le logement est déjà loué. » Ces mots, beaucoup les ont entendus. Des dossiers rejetés sans explication, des appels sans réponse, des visites annulées : pour certaines personnes, chercher un logement vire au parcours du combattant. Les familles vivant du CPAS, les parents isolés, les personnes au nom ou à l’accent étranger font partie des premiers exclus d’un secteur pourtant censé respecter des règles d’équité. « Parfois, les propriétaires ne se rendent même pas compte que leurs actions sont discriminatoires », constate Anaïs Lefrère, juriste au service Protection d’Unia, organisme de lutte contre les discriminations en Belgique. Le refus de certains revenus, comme ceux provenant d’aides sociales ou de pensions, est fréquent et « souvent perçu comme légitime par des propriétaires, note-t-elle. Mais écarter un candidat locataire sur base d’un critère protégé, que ce soit son origine de revenus, sa nationalité ou même son handicap, constitue de la discrimination. » 

La règle des tiers, un concept dépassé 

En 2023, pas moins de 102 dossiers liés au logement ont été traités par l’Unia, ceux-ci étaient principalement liés à la fortune, aux critères « raciaux » et au handicap. « Le premier critère de discrimination en matière de logement est la fortune: soit l’origine de celle-ci (CPAS, chômage, revenus d’invalidité, allocations familiales…) soit la hauteur des revenus. » 

Certaines agences immobilières et propriétaires n’hésitent pas à refuser des candidats dont les revenus proviennent du CPAS ou du chômage, comme si ces aides réduisaient leur valeur locative. Il n’y a qu’à regarder les nombreux appels à l’aide de bénéficiaires du CPAS à la recherche de logements sur les réseaux sociaux. « C’est un problème récurrent. D’ailleurs, peu importe le montant de ces revenus. Mais parce que ce sont ces revenus-là, on les écarte. Énormément d’agences immobilières et de propriétaires refusent aussi de comptabiliser les allocations familiales parce qu’ils estiment qu’elles sont destinées à payer les loisirs des enfants et non pas un loyer. Mais le logement est l’un des besoins primaires des enfants! » 

Unia dénonce, par ailleurs, la fameuse règle des “tiers”, imposant que le locataire gagne au moins trois fois le montant du loyer. Derrière cette règle se cache une conception dépassée de la solvabilité des locataires, souligne la juriste. « Ce chiffre ne réponds plus du tout à la réalité. Les propriétaires pensent que ne pas respecter cette règle va mener à des impayés. Mais, en réalité, la plupart des locataires font du paiement du loyer une priorité, quitte à renoncer à d’autres dépenses. » Dans un contexte de crise du logement, où les prix des loyers se sont envolés depuis la crise du Covid, cette exigence « inadaptée aux réalités actuelles » est devenue un facteur d’exclusion. « Il faut changer cette mentalité. » 

Le poids du nom et de l’accent 

Outre le statut social, les critères raciaux influencent toujours l’accès au logement. Pour certains candidats, un simple nom ou un accent peuvent suffire à se voir rejeté leurs candidatures. À Bruxelles comme en Wallonie, il est désormais interdit de demander le lieu de naissance avant la visite d’un logement, afin d’éviter les cas de discrimination sur base de l’origine des candidats. 

Unia a mis en place des “testings” pour déceler ces comportements discriminatoires. Le principe est simple : deux candidats identiques, l’un avec un nom belge, l’autre d’origine étrangère, postulent pour le même logement. « Si le premier reçoit une proposition de visite et que l’autre se voit refuser, il y a présomption de discrimination. » Cette méthodologie, validée par la Cour d’appel de Bruxelles, représente une avancée cruciale dans la reconnaissance juridique de ce type de discrimination et permet de faire pression sur les agences et propriétaires coupables de discrimination raciale. Les personnes handicapées subissent aussi des discriminations. Outre les refus de candidature, les aménagements nécessaires à leur logement, garantis par la loi, sont souvent ignorés, indique Anaïs Lefrère. 

Des pratiques illégales passibles de sanctions 

En Wallonie, une pratique discriminatoire s’ajoute : des agents immobiliers exigent des frais pour « réserver » un logement, ce qui est totalement illégal. « Les agents demandent parfois 200 à 500 euros, voire le premier mois de loyer, pour déposer un dossier. Cet “acompte” lui est rendu si le propriétaire ne choisit pas sa candidature, par contre l’agent le garde si le candidat change d’avis alors que le propriétaire a choisi sa candidature. C’est un abus inacceptable qui renforce la précarité de candidats déjà fragilisés », s’indigne Anaïs Lefrère. Certains agents immobiliers contournent aussi les règles sur les garanties locatives en exigeant des fonds non reconnus par le décret régional wallon, excluant ainsi les garanties locatives du CPAS ou bancaires et empêchant de nombreux locataires sans liquidités immédiates d’accéder au logement. « Ces abus sont courants, et il est urgent de rappeler les règles de base! » 

La crise actuelle du logement aggrave encore la situation. « On a moins de dossiers. On sait bien que la discrimination n’a pas diminué. » Certaines victimes, épuisées par leurs démarches de recherche de logement, n’ont pas le temps ni l’énergie de dénoncer ces injustices. Mais lorsqu’une discrimination est établie, elles peuvent obtenir des compensations, rappelle la juriste. En région wallonne, cela inclut avant tout des excuses et une reconnaissance des faits par la partie adverse. Une indemnisation est également prévue, avec un montant forfaitaire allant de 650 à 1300 euros, sauf si la victime parvient à prouver des dommages réels et plus conséquents : dans ce cas, l’indemnité pourrait être revue à la hausse. À Bruxelles, les montants d’indemnisation sont plus élevés. « On privilégie la négociation et la sensibilisation, mais le recours à la justice est parfois inévitable. » Unia n’hésite pas à réclamer l’affichage public de la condamnation dans les locaux de l’agence concernée – et pourquoi pas aussi sur leur site internet ? Car derrière chaque plainte et chaque dossier, ce sont des vies qui sont impactées, des familles qui tentent simplement de trouver un toit, un droit fondamental pour tous.   

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